Journal « Le Phare ». Kinshasa, 27 mai 2016
J. Kimponzo & Eric Wemba
Que s'est-il passé en RD Congo et plus particulièrement à Kinshasa le jeudi 26 mai 2016 ?
Nous reprenons ci-dessous in extenso deux articles publiés par le journal congolais « Le Phare » du vendredi 27 mai 2016.
Photo : Claudel LUBAYA -UNC
Kinshasa…«ville morte »
Alors que les organisateurs de la marche d’hier jeudi 26 mai 2016 n’avaient pas appelé à une « ville morte » à Kinshasa, la capitale a curieusement pris le visage d’une ville-fantôme. Pratiquement toutes les maisons de commerce, dans les cités populeuses comme en centre de la ville affichaient portes closes. D’ordinaire grouillants de « mamans-manœuvres et bipupula », de porteurs, de shegués, de voleurs de tous acabits, de vrais et faux policiers, d’agents de services publics spécialisés dans les taxes fantaisistes, les ports privés de Kingabwa étaient plongés dans un silence de cathédrale.
Quelques rares banques commerciales qui ont ouvert leurs portes ont dû renvoyer leurs cadres et agents à la mi-journée. Même les incontournables cambistes ont joué aux abonnés absents au niveau de différentes places financières de Gombe. Les « chailleurs » (vendeurs ambulants) étaient à compter sur les bouts des doigts.
Des responsables de nombreuses écoles privées comme publiques, gagnés par la psychose de la « ville morte », ont demandé, la veille, à leurs écoliers et élèves de rester chez eux. Les rares parents qui ont amené leurs enfants vers leurs établissements d’enseignement étaient gentiment priés de faire demi-tour. Certains « bleu-blanc », réduits au « chômage » malgré eux, ont improvisé des matches de football dans les environs de leurs écoles, question de tuer le temps avant de regagner les toits familiaux.
Plusieurs instituts supérieurs et universités ont connu la paralysie de leurs activités académiques, en raison de l’absence de nombreux étudiants et étudiantes, mais aussi de quelques professeurs, assistants et agents administratifs.
Des cadres et agents de plusieurs entreprises publiques, de même que de nombreux fonctionnaires de l’administration publique se sont tapés, à peu de frais, une « journée fériée ». La célèbre « Place Golgotha » de la Fonction Publique, à Gombe, était déserte. Les bus Transco assurant les liaisons entre les communes périphériques et le centre-ville circulaient avec des chaises vides. Au niveau des terminus tels que Kinkole, Kingasani/ Pascal, Ndjili-Sainte Thérèse, Debonhomme, Gare Centrale, Cadeco/ Gombe, UPN, Hôtel de Ville, Grand-Poste… chauffeurs, receveurs et régulateurs de trafic de cette société de transport ont passé le plus clair de leur temps à roupiller, dans l’attente d’hypothétiques passagers.
Prudents, la plupart des transporteurs privés exploitant les taxi-bus Hiace, 207 (Esprit de mort) et autres Combi ont préféré ne pas sortir leurs engins, au risque de travailler à perte. Même les policiers de « roulage », si friands de « mabonza » (pourboires) avaient déserté les carrefours. Contrairement aux journées « normales », les embouteillages ont subitement disparu des boulevards Lumumba, Sendwe et 30 juin ainsi que des avenues By Pass, Université, Poids Lourds, Bongolo, Nguma, Mbenseke, Colonel Mondjiba, Flambeau, Kasa-Vubu, etc.
La circulation routière était tellement fluide que les automobilistes ont eu l’impression que le réseau routier urbain venait d’être enrichi de nouvelles artères pour absorber le trop plein de trafic.
Kimp
Marche du 26 mai 2016 : le gouverneur avait imposé Huileries, la foule contourne Kimbuta et se déverse sur 24 novembre
Présumée sans impact sur le quotidien des Kinoises et Kinois, la marche de protestation contre l’Arrêt de la Cour Constitutionnelle et de solidarité avec les victimes des massacres dans le territoire de Beni, organisée hier jeudi 26 mai 2016 à Kinshasa, à l’appel de la Dynamique de l’Opposition, s’est muée en un vaste mouvement de masse contre le pouvoir en place.
Déjà tôt le matin d’hier, l’avenue de l’Enseignement, dans la commune de Kasa-Vubu, choisi comme site de rassemblement des manifestants, était envahi par de nombreux militants des partis membres de la Dynamique de l’Opposition. Des banderoles et calicots portant des messages exigeant le respect de la Constitution et une meilleure prise en charge de la sécurité des compatriotes vivant dans le territoire de Beni étaient déployés sur place.
Le siège du MLC était retenu comme le point de ralliement des leaders de la Dynamique et leurs différentes « bases ». Du côté des organisateurs, les principaux animateurs avaient répondu présents, notamment Gilbert Kiakwama, Vital Kamerhe, Fabrice Puela, Jean-Claude Vuemba, Eve Bazaiba, Martin Fayulu, Franck Diongo, Jean-Lucien Bussa, Lumeya, Claudel Lubaya, Gabriel Mokia, Lusamba Tatcher…
Finalement vers 10 heures, le go a été donné pour la marche. Les différents leaders ont pris la tête de la manifestation, suivis de leurs troupes. La colonne s’est ébranlée du siège du MLC vers l’avenue Kasa-Vubu, au rythme des fanfares, tambours, sifflets, chansons, slogans, etc. Elle a progressé jusqu’au carrefour Kasa-Vubu, Sendwe et Triomphal pour prendre la direction du Palais du Peuple, en passant par le stade des Martyrs
Parcours : la grande confusion
Une fois au croisement de l’avenue Huileries avec le boulevard Triomphal, une grande confusion s’est installée entre les organisateurs et la foule, qui ne faisait que grossir au fur et à mesure de l’arrivée de nouveaux participants à la marche. Pour les leaders de la Dynamique, il fallait respecter l’itinéraire imposé par l’Hôtel de Ville, c’est-à-dire s’engager sur Huileries pour s’arrêter au rond point des avenues Huileries, Kabambare et Nyangwe. Pour la foule, il fallait rester sur le boulevard Triomphal, prendre 24 novembre et progresser jusqu’à la Maison Schengen.
A défaut d’un consensus, deux colonnes se sont formées spontanément, l’une pour l’axe Triomphal-24 Novembre, et l’autre pour celui d’Huileries. La police, débordée, n’a pu empêcher la foule de violer la consigne du gouverneur Kimbuta, qui avait interdit le parcours Triomphal-24 novembre.
Les leaders de la Dynamique se sont scindés en deux groupes. Kamerhe et Fayulu ont résolu de conduire la colonne de l’axe Triomphal- 24 novembre, tandis que Vuemba, Puela, Bazaiba et d’autres opposants se sont mêlés à celle de l’avenue Huileries. Jusqu’à ce niveau, aucun incident n’était à signaler.
De part et d’autre, des jeunes de Lingwala, Kinshasa et d’ailleurs, pour la plupart des sans-emplois, voire des étudiants de l’Académie des Beaux-Arts, de l’IBTP et de l’ISC se sont joints aux manifestants, au fur et à mesure de leur progression.
Alors que tout se passait normalement et tranquillement, les marcheurs de l’avenue Huileries ont rencontré une première barrière de la police au rond point Huileries-Kabambare-Nyangwe. Mais profitant de sa supériorité numérique, la foule a forcé et dépassé cette barrière. Tandis que sur 24 novembre, les manifestants qui voulaient aller au-delà de la Maison Schengen ont été dispersés d’abord par des tirs de sommation en l’air puis des gaz lacrymogènes. En réponse à la répression, la foule a caillassé les forces de l’ordre. Mais cette action n’a pu faire bouger la « barrière policière ».
En débandade, beaucoup se sont repliés vers les avenues Itaga, Kabambare, Nyangwe… pour faire jonction avec leurs camarades de l’avenue Huileries. Mais une fois dans le périmètre du Centre de Rééducation pour Handicapés physiques, la foule s’est trouvée devant un verrou policier infranchissable. Tirs de sommation et gaz lacrymogènes ont finalement eu raison des manifestants, après plusieurs minutes d’échauffourées.
Bloqués sur les avenues 24 novembre et Huileries, en vue de les empêcher d’atteindre le boulevard du 30 Juin et de progresser au-delà, les manifestants ont dû baisser pavillon. Quelques groupuscules sont rentrés sur l’avenue de l’Enseignement, aux sièges de différents partis se l’Opposition, pour suivre de brefs messages de leurs leaders, avant de regagner leurs habitations.
ERIC WEMBA