PAR Alain Jourdan
L’équipe de l’ONU a été en mesure de confirmer qu’environ 251 personnes ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires ciblées entre le 12 mars et le 19 juin.
La violence qui sévit dans les provinces du Kasaï, en République démocratique du Congo (RDC), a pris une dimension ethnique inquiétante. Les informations recueillies durant le mois de juin par une équipe d’enquêteurs des Nations Unies suggèrent que par leur nature et leur échelle, certaines des violations des droits de l’homme et abus commis pourraient constituer des crimes contre l’humanité.
Le rapport se fonde sur des entretiens menés avec 96 personnes qui ont fui vers l’Angola voisin pour échapper aux violences. L’équipe de l’ONU a été en mesure de confirmer que quelque 251 personnes ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires ciblées entre le 12 mars et le 19 juin, notamment 62 enfants, dont 30 âgés de moins de 8 ans. Les personnes interrogées ont indiqué que les forces de l’ordre locales et d’autres agents de l’État ont «activement fomenté, alimenté et parfois même dirigé les attaques sur la base de l’appartenance ethnique». La Mission des Nations Unies en RDC a recensé au moins 80 charniers dans la région.
L’équipe a vu des personnes gravement blessées ou mutilées, dont un garçon de sept ans amputé de plusieurs doigts coupés et totalement défiguré. Une femme dont le bras avait été coupé a raconté comment elle a réussi à s’échapper, en se cachant plusieurs jours dans la forêt avant d’atteindre la frontière angolaise et d’être évacuée par les airs et transportée à l’hôpital. Certains réfugiés ont supplié l’équipe des Nations Unies d’écouter leurs témoignages, et deux des personnes interrogées sont décédées peu après de leurs blessures.
«Les survivants ont évoqué les cris de personnes brûlées vives, la vision de leurs proches traqués puis abattus, et leur propre fuite, terrorisés. Ces bains de sang sont d’autant plus terrifiants qu’il semblerait que les populations sont toujours plus souvent ciblées en raison de leur appartenance ethnique», a déclaré la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad al Hussein. «À travers leurs récits, c’est un avertissement très sérieux qui est adressé au gouvernement de la RDC, afin d’agir sans délai pour empêcher que cette violence ne bascule dans un processus de purification ethnique à plus grande échelle.»
Les combats ont commencé en août 2016 entre la milice Kamuina Nsapu et le gouvernement. L’équipe de l’ONU a pu confirmer qu’une autre milice, la Bana Mura, avait été formée vers mars/avril 2017 par des personnes appartenant aux groupes ethniques Tshokwe, Pende et Tetela. Elle aurait été armée et soutenue par les chefs traditionnels locaux et des agents des forces de l’ordre, y compris l’armée et la police, pour attaquer les communautés Luba et Lulua accusées de complicité avec les Kamuina Nsapu.
Bon nombre de témoins et victimes ont déclaré que les miliciens Bana Mura s’en sont pris aux habitants Luba et Lulua, décapitant, mutilant et abattant leurs victimes, certaines ayant même été brûlées vives dans leurs maisons. L’une des attaques les plus choquantes a eu lieu dans le village de Cinq, où 90 patients, collègues et personnes qui avaient cherché refuge dans un établissement médical ont été tués, y compris des patients qui n’ont pas réussi à s’échapper lorsque le bloc opératoire a été incendié.
Tous les incidents documentés par l’équipe de l’ONU impliquaient des garçons et des filles, pour beaucoup âgés de 7 à 13 ans, engagés comme combattants par les Kamuina Nsapu. Des témoins ont également rapporté que des groupes de filles, les «Lamama», accompagnaient la milice, agitant leurs jupes de paille et buvant le sang des victimes dans le cadre d’un rituel magique censé rendre le groupe invincible. Tous les réfugiés interrogés par l’équipe se sont déclarés convaincus des pouvoirs magiques des Kamuina Nsapu.
«Cette croyance généralisée, et la peur qui en découle, auprès de certains segments de la population dans le Kasaï peuvent expliquer en partie le fait qu’une milice peu armée, composée en grande partie d’enfants, ait été en mesure de résister aux offensives menées par l’armée nationale depuis plus d’un an», indique le rapport. Ses auteurs se montrent, en outre, particulièrement inquiet pour l’avenir. Ils mettent en garde la communauté internationale: «La crise dans la région du Kasaï se déroule dans un contexte politique instable, qui risque de mener au report indéfini des élections présidentielles pour des motifs sécuritaires (…). Des actions urgentes visant à prévenir une ultérieure flambée de violence, s’avèrent cruciales dans ce contexte».
SOURCE: https://www.24heures.ch/monde/onu-violences-kasai-relents-purification-ethnique/story/25537088