Par Cheik FITA
Bruxelles, le 20 août 2020

Lors d’une conférence au Press Club Brussels Europe à Bruxelles le mercredi 19 août 2020,, Me Dieudonné Tshibuabua a annoncé la mise en ligne d’une pétition afin de recueillir 100.000 signatures afin d’exiger à l’assemblée nationale congolaise la revision d’un article de la constitution.
Lequel ?
Celui ayant trait à la nationalité.
Le plaidoyer de Me Tshibuabua vise essentiellement à ce que les Congolais qui ont acquis une autre nationalité (belge, française, américaine par exemple) ne puissent pas perdre leur nationalité congolaise d’origine, qu'ils aient la double nationalité.
Durant sa conférence Me Tshibuabua s’est longuement appesanti sur l’historique de la nationalité congolaise qui commence avec la création de l’Etat Indépendant du Congo par le Roi belge de l’époque, Léopold II. Il a également fait une analyse comparative entre les différents textes constitutionnels congolais en ce qui concerne la nationalité.
Cette acception a évolué avec le temps selon les textes constitutionnels respectifs qui régissaient le Congo.
Une fois indépendant, le Congo a rédigé sa première constitution, celle dite de Luluabourg. Et dans celle-ci, on retrouvait déjà la notion de nationalité une et exclusive.
Il y eut le règne de Mobutu qui eut à une époque comme Directeur de cabinet un certain Bisengimana, sujet rwandais avec ce que cela avait amené comme manœuvres dans la problématique de la nationalité pour certains étrangers…
Puis vint la guerre de l’AFDL qui amena dans ses bagages des sujets rwandais dont certains se revendiquaient Congolais.
En 1998, ce fut une autre guerre dite de libération conduite par des Rwandais qui avaient mis au devant quelques pantins congolais. Cette guerre se termina par le dialogue de Sun-City ou tous les va-t-en-guerre se mirent autour d’une table, chacun défendant ses intérêts visibles et cachés.
C’est ainsi qu’à l’issue du dialogue inter-congolais de Sun-City naîtra un projet de constitution qui sera l’ancêtre de l’actuelle constitution congolaise adoptée par référendum en 2006.
Par rapport aux constitutions précédentes, Me Tshibuabua a relevé que cette dernière contient un changement apparemment anodin : l'intrusion du mot "ethnies" alors que dans les textes antérieurs on parlait de "tribus".
Et voici ce que dit la constitution congolais actuelle à ce propos :
Chapitre 2 : De la Nationalité Article 10 La nationalité congolaise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre. La nationalité congolaise est soit d’origine, soit d’acquisition individuelle. Est Congolais d’origine, toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance.
Or, dans la constitution de Luluabourg, il était dit ceci :
Section II. De la Nationalité. Article 6. Il existe une seule nationalité congolaise. Elle est attribuée, à la date du 30 juin 1960, à toute personne dont un des ascendants est ou a été membre d’une tribu ou d’une partie de tribu, établie sur le territoire du Congo avant 1908. »
Ethnie n’étant pas synonyme de tribu, par quelle magie, y a-t-il eu ce changement ?
Qui en était à l'origine? Etait-ce innocent ?
C'est dans cet environnement que la pétition pour la double nationalité devrait être lancée.
Il faut l’épingler : Depuis plusieurs années, alors que des sujets notoirement connus comme Rwandais cherchent par tous les moyens à devenir des Congolais, pendant ce temps, des Congolais eux ont fui leur pays au point de se retrouver très nombreux à l’étranger. « Au moins dix millions » a affirmé Me Tshibuabua. Ils sont devenus Belges, Français, Anglais, Américains… et ont ainsi perdu la nationalité congolaise.
Avec l’arrivée de Félix Tshisekedi à la tête du pays, de grandes ouvertures politiques ont lieu et il y a plus de libertés au pays. Et les anciens Congolais veulent revenir au Congo et redevenir Congolais... Tout en gardant la nationalité acquise ailleurs.
Pour cela, il faut surmonter l’obstacle constitutionnel. D’où l’idée de cette pétition.
Est-ce suffisant ?
L’orateur a affirmé que la constitution d’un registre national de la population serait d’une grande utilité dans ce combat car, chaque citoyen devra donner toute son identité à verser dans le fichier national… Bien d’aventuriers seront démasqués.
Au stade actuel, cela est-il vraiment suffisant ?
Ce qui a poussé l’Info en Ligne des Congolais de Belgique à poser la question de savoir s’il avait été mis en place un lobbying pour prendre langue avec différentes institutions de l’Etat congolais ayant en charge l’identification des Citoyens.
Cela était en cours selon Me Tshibuabua.
L’opinion congolaise est-elle préparée à une telle révision constitutionnelle ?
Depuis la guerre du RCD Goma en 1998, les Congolais sont allergiques à tout ce qui pourrait favoriser d’une façon ou d’une autre le Rwanda de Paul Kagame.
Un lobbying au profit des Congolais de la diaspora pourrait-t-il être bien accueilli au pays ?
La diaspora congolaise n’a pas bonne presse chez les Congolais vivant au pays. Déjà en 1997 à la chute de Mobutu, il y eut le phénomène « diassa-diassa » (diaspora déglinguée).
Avec l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir, les membres de la diaspora congolaise qui se sont rués au pays, ont-ils meilleure presse par rapport à la génération de 1997?
Ensuite, il y a un autre goulot d’étranglement : les deux chambres sont à majorité kabilistes. Et c’est à elle que reviendra le privilège de réviser la constitution !
Par quelle magie ces deux chambres navigueraient-elles en faveur de cette loi ?
Enfin, il y a un effet collatéral qui pourrait subvenir.
Kabila étant parti du pouvoir à contrecœur, ses ouailles au parlement cherchent par tous les moyens à réviser la constitution au profit de leur « autorité morale ».
La dernière tentative a jeté la population dans la rue et il y a eu mort d’hommes. Ils semblent s'être ravisés. Pour toujours?
Et si d’aventure la pétition de la double nationalité réussissait à obtenir ses cent mille signatures et atterrissait au parlement, cela n’offrirait-il pas aux kabilistes une brèche dans laquelle ils s’engouffreraient à cœur joie et tenter de réviser par la même occasion à la hussarde d’autres articles de la constitution ? Souvenons-nous du passage en force de 2011 de la présidentielle de deux à un tour, cela n'avait pris que quelques heures !
La problématique de la double nationalité ne se limite pas seulement aux Congolais. Elle est malheureusement empoisonnée par les visées expansionnistes du Rwanda qui tient à avoir des citoyens rwandais qui ont également la nationalité congolaise... Le changement de la loi sur la nationalité devrait-il être pris à part, sans être intégré dans toute la complexité politique actuelle en RD Congo?