Par Cheik FITA
Bruxelles, le 26 septembre 2020
Au mois d'avril 2020 alors que le coronavirus était annoncé à Kinshasa, l’artiste-musicien Jean-Jacques Kibinda Pembele dit le Karmapa lançait sur le marché une chanson : « Mama Yemo ». Et dès sa sortie, des réactions en tout genre fusaient déjà.
Jeudi 24 septembre 2020, l’artiste a mis en ligne sur youtube le clip de la version officielle de la chanson.
Le même jour, notre confrère, le journal « La Prospérité » de Kinshasa publiait l’article suivant : Justice. Le Karmapa convoqué au Parquet pour la diffusion de sa chanson «Maman Yemo»
Voici l’article en question :
« Aussitôt lancée sur le marché du disque, la nouvelle chanson- single « Maman Yemo » du chanteur congolais Le Karmapa est interdite de toutes diffusions publiques notamment, à travers les médias à Kinshasa. Mais, au niveau des réseaux sociaux, l’œuvre est partagée par les fanatiques qui apprécient surtout la thématique, au-delà des mélodies succulentes qui l’accompagnent. Qu’à cela ne tienne, cette mélopée de l’artiste dérange le gestionnaire de l’hôpital général de référence de Kinshasa, autrement dit «Maman Yemo» qui s’y oppose farouchement alors que son contenu va pour l’intérêt de cet établissement de santé publique.
Featuring dans la chanson
Dans cette chanson, l’artiste Le Karmapa a eu l’apport d’une icône de la chanson congolaise : Sam Mangwana. Et le duo rappelle alors la chanson de Franco Luambo Makiadi : « Mbanda akoti kikumbi » dans laquelle le Grand Maître Franco avait chanté en duo avec le même Sam Mangwana.
« Mama Yemo » Une chanson qui interpelle.
Le clip vidéo de la chanson commence ainsi :
- Je ne peux pas me salir les mains, sans argent, votre frère va mourir.
- Dr, oyo hopital ya ndenge nini ? Obosani serment d’Hippocrate ?
- Mais Docteur…
- Eh, eh, tais-toi, nakosimba ye te. Soki mbongo eza te, akokufa « s » Et c’est parti pour dix minutes de musique.
« Si je tombe malade, n’osez pas m’amener là-bas,
On risque de m’administrer un médicament qui sort de la pharmapoche d’un personnel soignant,
On risque de me donner des « quinines » qui ont en réalité été fabriqués avec la pâte de manioc… »
Dans la chanson, l’artiste dénonce plusieurs maux :
- L’absence des médicaments à l’hôpital
- L’absence du matériel médical,
- L’Insalubrité,
- la présence à l’hôpital d’une myriade de rats et de chats,
- l’absence de courant,
- une morgue où les corps s’entassent et en état de putréfaction,
- les différentes mauvaises odeurs, les moustiques, les enfants errants,
- Une couveuse pour plusieurs bébés,
L’artiste continue sa dénonciation :
Je vais à l’hôpital pour guérir,
Pas pour y chercher la mort.
Les rats et les chats s’y amusent,
Les chats se nourrissent des nombrils des bébés,
Des morts par négligence,
Et avec cela, qu’on se taise ? Qu’on ne le dise pas ?
Notre maternité est devenue une maison hantée,
Les riches vont vite se faire soigner en Afrique du Sud.
Et nous les pauvres ?
Ils construisent leurs maisons avec l’ argent de l’Etat qui était destiné aux hôpitaux,
Ils oublient l’achat des incinérateurs,
Partout, l’odeur des WC juste à côté des malades,
L’odeur du poisson salé,
Les cafards, les cancrelats,
Les moustiques,
La vente des médicaments se fait comme celle du pain,
Et le serment d’Hippocrate ?
Où finirons-nous avec des pratiques pareilles,
« Donne l’argent » !
Et sa conclusion ?
« Si je deviens malade, ne m’amenez pas là-bas »
Pourquoi ?
« Je ne suis pas sûr du médicament qu’on va m’administrer,
Je préfère que vous m’ameniez chez les tradipraticiens,
« Depuis que je suis interné, la fièvre typhoïde ne finit pas…
« La santé n’est pas une marchandise,
« Ceux qui ont des moyens vont se faire soigner en Afrique du Sud,
Et nous les pauvres ?
Tu es interné pour la malaria, et tu ressors handicapé par la poliomyélite.
Même à un doigt de la mort, on te réclame toujours l’argent.
EYOMA !
Message sans équivoque
Non seulement le message contenu dans la chanson est interpellateur, mais l’arrangement musical est tout aussi remarquable : les voix, les chœurs, les instruments à corde, la synthé, le saxophone très mélancolique, la rythmique entraînante, la percussion, le refrain qui revient régulièrement,
Pour amortir le coût de production de l’œuvre et c’est devenu un style, des « mabanga » sont clairsemés par-ci par-là dans la chanson.
Côté visuel.
En visionnant la vidéo officielle de la chanson, l’expression joviale des danseuses et danseurs contrebalance le caractère dramatique de la chanson.
Les comédiens
Plusieurs comédiens interprètent les différentes situations décrites dans la chanson.
Le tournage et montage
Toute une équipe a été mise à contribution pour le tournage et le montage des images.
Au final, c’est plus d’une soixantaine de personnes qui ont été impliquées dans la production de cette chanson et de son clip visuel.
Et la suite ?
Il est un fait, cette chanson dénonce un mal qui ronge tous les hôpitaux de la RD Congo depuis des décennies.
Le titre MAMA YEMO est utilisé pour le caractère emblématique de cet hôpital de Kinshasa : « Hôpital de référence »… Mon œil !
Cela devrait-il continuer ?
Non. L’artiste le dit quelque part : « Cherchons à améliorer nos hôpitaux. »
L’interpellation de la société par l’artiste Le Karmapa arrive à point nommé. Sont pointés du doigt : le personnel de tous les hôpitaux de l’Etat, les gestionnaires des institutions hospitalières et bien sûr l’Etat à tous les niveaux.