Samedi 2 mai 2015 dans la soirée, une information a été diffusée sur la chaîne de télévision télé50 annonçant l’envoi par le Président Joseph Kabila d’un émissaire auprès des dirigeants de l’UDPS, Union pour la Démocratie et le Progrès Social, parti congolais dirigé par Étienne Tshisekedi. Plus tard, l’opinion apprendra que le même émissaire s’était rendu aussi au MLC ainsi qu’à l’UNC.
Comment interpréter cette démarche ?
2015 et 2016 sont des années électorales en RD Congo. Qui dit élections dit changement des animateurs des institutions. Dans les pays normaux, les élections sont cycliques. Deux scénarii sont possibles pour ceux qui y participent : ou l’on perd, ou l’on gagne. On accepte le verdict, et la vie continue.
Les élections de novembre 2011 en RD Congo ont été une honte pour le pays.
Le pouvoir sortant avait décidé de se cramponner par tous les moyens : confiscation des médias officiels durant la campagne électorale, intimidation et utilisation de la kalachnikov contre l’opposition les derniers jours précédant le scrutin, bourrage des urnes le jour des élections, falsification des chiffres lors du dépouillement des résultats, et mise en résidence surveillée du challenger après la proclamation des résultats. Et enfin, gouvernement du pays par défi depuis lors. Sombre tableau.
En 2015 et 2016, le pouvoir de monsieur Kabila avait-il l’intention de jouer franc jeu ?
Non.
L’imposition de l’abbé Malu Malu à la CENI, commission électorale indépendante était un signal non équivoque.
Tout semblait baigner dans l’huile lorsque subitement, un grain de sable est apparu dans la machine politique du pouvoir : la limitation des mandats présidentiels à deux. Pour 2016, Joseph Kabila était automatiquement hors-jeu.
Suivront alors de la part des membres du pouvoir des contorsions de tout genre, les unes plus hideuses que les autres dans l'espoir de permettre à monsieur Joseph Kabila de rester au pouvoir, comme l’avait fait Mobutu d’avril 1990 à mai 1997. Il fallait soit modifier la constitution, soit obtenir malicieusement un glissement du processus électoral.
Joseph Kabila avait-il envie de partir du pouvoir après 2016 ? Non. Une petite phrase prononcée avec assurance fin 2014 devant les notables du Katanga avait trahi ses intentions : « Il n’y aura pas d’hécatombe en 2016. »
Du 19 au 21 janvier 2015, le cours de l’histoire s’est subitement emballé et en a décidé autrement. Le peuple est descendu dans la rue, le pouvoir a tremblé et reculé. Habitué à la manière forte, il a arrêté à tour de bras opposants et activistes de la société civile et les a mis au frais dans l'espoir de terroriser la population, en vain. La prison de Makala s’est transformée progressivement en un camp de concentration où sont détenues illégalement de plus en plus de personnes.
L’acharnement du hasard contre le clan Kabila faisant bien les choses, la fosse commune de Maluku est venue se mêler à la danse et susciter une question : « N’y a-t-il pas d’autres fosses communes ou charniers à travers la république ? Le combat contre cette information s'annonce longue et fastidieuse.
Habitué à prendre l’initiative, le pouvoir de monsieur Joseph Kabila court désormais après les événements.
Petit à petit, les anciens chantres du kabilisme commencent à chercher discrètement la porte de sortie. Oui car, le bateau prend progressivement l’eau. Ils avaient embarqué par profit et non pour y laisser leur peau.
En ce début du mois de mai, le dialogue prôné dans les accords d’Addis-Abeba et soutenu par l’UDPS revient subitement à l’ordre du jour. Pourtant, durant longtemps, il avait été tourné en dérision.
Peut-on faire confiance au clan Kabila ? Non, pour une raison simple : affirmer une chose puis son contraire c’est de la roublardise.
Aujourd’hui, que reste-t-il au clan Kabila pour survivre? Juste une toute petite fenêtre afin de tenter de se maintenir au pouvoir : gagner les élections provinciales d’octobre 2015. Comment ? Faute de bilan, arroser la campagne électorale d’un flot d’argent. Et le jour des élections, user de la kalachnikov pour terroriser le citoyen. Puis, par quelques manœuvres, tripatouiller les chiffres issus des urnes.
Car, en cas d’échec, le système serait rapidement balayé aux législatives et à la présidentielle de 2016.
Tel est l’enjeu aujourd’hui pour le clan Kabila.
Faut-il dialoguer avec le clan Kabila ? Oui, mais en maintenant la pression pour l’organisation transparente des élections d’octobre 2015. Mieux, en se réappropriant le processus électoral. L’opposition et la société civile doivent sensibiliser la population contre l’argent et les cadeaux de la campagne électorale: tee-shirts, bouteilles de bières, pagnes : des cadeaux empoisonnés que l’on consommera durant quelques jours, mais qui auront toute une législature pour vous exterminer, soit cinq longues années.
L'autre outil du pouvoir en place, c'est la kalachnikov. L’opposition et la société civile doivent convaincre les citoyens que derrière l’uniforme du policier et du militaire, il y a un homme qui trime comme tout le monde. Et les mercenaires venus de l’étranger revêtus de l’uniforme congolais? Le jour des élections, ils ne seront jamais assez nombreux pour couvrir toute la république, et terroriser les milliers des personnes qui seront devant les dizaines de milliers de bureaux de vote disséminés à travers le pays.
Oui, le jour des élections, seul dans l'isoloir, chaque citoyenne et chaque citoyen devra être convaincu qu'il a entre les mains la clé du changement, que son vote compte. En ce moment précis, ni la kalachnikov des bidasses postés dehors, ni la tentative d'achat de conscience ne pourra rien.
Bruxelles, le 4 mai 2015
Cheik FITA