Par Le Potentiel
Tout coup d’Etat est un virus virulent pour le corps social. C’est une plaie puante sur l’organisme
politico-constitutionnel. Un drame. Il y a peu, l’Union africaine l’a compris et l’a criminalisé, là où l’Oua ne faisait que « prendre acte ». A l’évidence, tous ceux qui avaient applaudi le
putsch de Mobutu, n’avaient pas tardé à déchanter. Pire, à se mordre les doigts. Très rapidement, une lourde chape de plomb va s’abattre sur le pays. Ayant pris le pouvoir par la force, en ce 25
novembre 1965, Mobutu va le perdre de la même façon un certain 17 mai 1997. Comme qui dirait « Qui tue par l’épée périt par l’épée ». Entre-temps, le pays aura connu une hallucinante descente aux
enfers. In fine, on peut paraphraser l’artiste congolais Zao, pour affirmer que «le coup d’Etat, ce n’est pas bon, ce n’est pas bon ».
Pour dire vrai, le coup d’Etat de Mobutu en 1965 s’était réalisé le 25 novembre. La veille, le 24 novembre, n’a été
consacrée qu’aux préparatifs. Blanchi sous le harnais de la conspiration permanente, le général Mobutu fera main basse sur le pouvoir, en profitant du grenouillage fait d’intrigues douteuses au
sommet de l’Etat.
MOBUTU CHASSE KASA-VUBU ET KIMBA
En effet, aux législatives de mai 1965, Moïse Kapend-Tshombe, « Mr tiroir-caisse », avait obtenu une large majorité
avec sa Conaco. Etant candidat aux futures présidentielles, il était sûr de l’emporter sur Kasa-Vubu, lui aussi candidat à sa propre succession. Kasa-Vubu le révoque et nomme Evariste Kimba. Le
Parlement lui refuse l’investiture, mais Kasa-Vubu s’obstine. Il passe outre et nomme Kimba de nouveau. Le bras de fer ainsi engagé fait craindre le pire. C’est alors que Mobutu intervient pour
chasser Kasa-Vubu et Kimba. Il marque ainsi son territoire, prend ses marques et s’installe à demeure au Mont-Stanley. Il y a de cela 40 ans.
La Loi fondamentale de 1960 devait cesser de produire ses effets le 30 juin 1964. Le Premier ministre d’alors
Cyrille Adoula démissionne, pour laisser place à un autre gouvernement devant installer les institutions de la Constitution de Luluabourg, promulguée le 1er août 1964. Mobutu, qui est chef de
l’Armée pèse pour l’arrivée à la primature de l’ancien président de la sécession du Katanga, Moïse Tshombe. L’homme est très introduit dans la haute finance internationale. Il a encore la haute
main sur les redoutables « gendarmes katangais », et compte beaucoup d’amis parmi les mercenaires. Tout cela peut aider à briser la rébellion muleliste qui occupe près de trois-quarts du
Congo.
Tshombe, qui revient de l’exil en Espagne, forme un gouvernement de salut public de onze ministres, où les caciques
de la politique de Léopoldville sont exclus : Bomboko, Nendaka, Kamitatu, Adoula, Ileo, Lihau, … En plus, Tshombe s’entoure de conseillers belges, du temps de la sécession (1960-1963). Dans la
capitale, les exclus parlent de la « revanche katangaise ». Ils attendent leur tour. Selon la Constitution de Luluabourg, les élections législatives doivent avoir lieu avant le 1er mai 1965 et le
gouvernement de salut public demeurera en fonction jusqu’à l’élection présidentielle.
Tshombe bénéficie d’un état de grâce qui lui permet de briser la rébellion et de mettre le pays à flot au plan
économique. Sa popularité monte en flèche. Il forme la Conaco (Convention nationale congolaise), qui va attirer la plupart d’acteurs politiques comme le Mulopwe Albert Kalonji, Victor Nendaka,
Cléophas Kamitatu, Etienne Tshisekedi… La Conaco qui remporte 122 députés sur 167, deviendra le plus grand parti politique du Congo. Du fait que l’élection présidentielle se fera au suffrage
indirect par les députés et les Assemblées provinciales, Tshombe a beaucoup de chances de l’emporter. Kasa-Vubu, qui est aussi candidat, s’en inquiète. Surtout que c’est le ministre de
l’Intérieur Munongo qui va les organiser. Ce fidèle de Tshombe, depuis la sécession, est un homme sans scrupules.
TSHOMBE SOUS PRESSION
Dès ce moment, tous les hommes politiques « kinois » exclus du pouvoir, font pression pour participer au
gouvernement. Victor Nendaka, quoique membre de la Conaco, joue à fond le jeu anti-Tshombe du « Groupe de Binza ». Il estime que le nouveau Parlement peut exiger le remaniement du gouvernement.
Tshombe et Munongo s’y opposent. Malheureusement pour eux, Munongo est élu gouverneur de la province du Katanga Oriental. Immédiatement après, la présidence de la République annonce que Munongo
est déchargé de ses fonctions de ministre de l’Intérieur. Beaucoup d’hommes politiques, tablant sur le remplacement de Munongo au gouvernement, demandent un vaste remaniement gouvernemental. Dans
une interview au journal « Le Progrès », Nendaka exige carrément la démission du gouvernement, dès la première réunion du Parlement. Kasa-Vubu va plus loin. Dans une interview au « New York Times
», il tient à cette démission, avant même la réunion du Parlement.
Cette fameuse réunion du Parlement est retardée du fait que la Cour d’Appel de Léopoldville (Kinshasa) a annulé les
élections au Kwilu, à la Cuvette centrale et au Nord-Katanga. Mais, très rapidement, en attendant les arrêts de la Cour d’Appel, Kavu-Vubu nomme Victor Nendaka ministre de l’Intérieur pour
remplacer Munongo. Comme premier geste, il expulse dix-sept Européens proches de Tshombe. La pression sur Tshombe s’accroît et prend même la forme d’actes terroristes. Le 10 septembre 1965, une
explosion détruit la voiture de Bernard Munongo, neveu de Godefroid Munongo. Il est chef de cabinet de Moïse Tshombe.
Le 12 septembre, le cabinet du Premier ministre met en cause directement Justin-Marie Bomboko, Cléophas Kamitatu,
Evariste Kimba et même Victor Nendaka. Le 14 septembre, la Conaco tient son congrès à Léopoldville. Nendaka est absent. Pourtant, il n’a toujours pas démissionné du parti. Le même jour, il
déclare que lui et ses alliés de « provinces martyres » retirent leur confiance au parti de Moïse Tshombe. Comme on le voit, Nendaka s’agite beaucoup pour créer un bloc anti-Tshombe au Parlement.
Son porte-parole est Cléophas Kamitatu.
Pour les devancer, Tshombe accepte, au début du mois d’octobre 1965, d’élargir son gouvernement. Il n’aura pas le
temps de le faire, car il est revoqué par Kasa-Vubu le 15 octobre 1965.
REVOCATION DE TSHOMBE
Ce jour-là, se déroule au palais de la Nation, la séance solennelle d’ouverture de la première session ordinaire du
Parlement. La cérémonie est grandiose. Kasa-Vubu prononce son discours de circonstance. Mais, quelle surprise. Il annonce, de sa voix fluette, la révocation du Premier ministre Tshombe, et de son
gouvernement. « Ce gouvernement qui n’a pas cru devoir, de sa propre initiative, présenter sa démission ».
Moïse Tshombe, qui est présent à la tribune de l’hémicycle, reçoit cette gifle présidentielle « avec le plus grand
calme apparent ». Le même jour, Kasa-Vubu nomme Evariste Kimba comme successeur de Tshombe. La manœuvre est astucieuse. Kasa-Vubu joue là un Katangais du nord muluba (Kimba), contre un Katangais
du sud karund (Tshombe). Evariste Kimba avait été ministre des Affaires étrangères de Tshombe lors de la sécession. Il avait rejoint à Léopoldville, le camp des ennemis de son ancien
patron.
KIMBA RECALE
Le 18 octobre, Kimba forme son gouvernement : Nendaka est à l’Intérieur, Cléophas Kamitatu aux Affaires étrangères.
Il n’y a là-dedans aucun proche de Tshombe. Dès le lendemain, Kasa-Vubu s’envole pour le sommet de l’Oua au Ghana. Il est accompagné de Kimba et de Kamitatu. L’Afrique progressiste leur réserve
un véritable triomphe, pour avoir écarté « l’assassin de Lumumba », Moïse Tshombe. Très emballé, Kasa-Vubu promet de chasser tous les mercenaires recrutés par Tshombe, et surtout, de se
réconcilier avec les rebelles : Mulele, Gbenye, Soumialot, Olenga, Kabila Laurent…
A leur retour au pays, ils trouvent au Parlement une motion de la Conaco, qui blâme Kasa-Vubu pour « avoir indûment
révoqué le gouvernement » ; et qui exige du gouvernement Kimba qu’il se présente immédiatement devant les deux chambres réunies en Congrès, pour un vote d’investiture. Le Congrès est convoqué
pour le 14 novembre. Par 134 non et 121 oui, l’investiture est refusée à Kimba. Yvon Kimpiobi, le président de l’Assemble nationale résume le vote. « Le gouvernement Kimba est réputé
démissionnaire ». Le lendemain, 15 novembre, Kasa-Vubu passe outre ce vote négatif. Il nomme à nouveau Kimba à la primature.
Le bras de fer entre Kasa-Vubu et la majorité parlementaire Conaco risque d’être mortel, vu les appuis financiers et
militaires de Tshombe. L’Armée craint une répétition des drames de septembre 1960 après la révocation de Lumumba, par le même Kasa-Vubu. En outre, Mobutu, patron de l’Anc, est irrité par la
promesse faite par Kasa-Vubu de chasser tous les mercenaires : « il n’en est pas question dans les circonstances actuelles ». Toute l’Armée est opposée à la négociation avec les rebelles. Mobutu
martèle sèchement que : « un tel événement susciterait certainement une mutinerie ».
LES PREPARATIFS
Le général Mobutu convoque le 20 novembre, tout le Haut commandement de l’Anc pour faire le point sur la situation
du pays. Le prétexte est la commémoration du 1er anniversaire de la prise de Stanleyville (Kisangani) le 24 novembre 1964 aux rebelles de Gbenye. Toutes les épaules galonnées de l’Anc sont là.
C’est presque certain que, quand Kasa-Vubu préside au camp Léopold (camp Kokolo) le mardi 23 novembre une prise d’armes, pour la promotion de Mobutu au grade de lieutenant-général, la décision de
le démettre trottine déjà dans la tête du fougueux chef de l’Anc. Plusieurs sources mettent en garde Kasa-Vubu contre Mobutu, manipulé pour ce coup par les Américains et les Belges. Le chef de
l’Etat ne s’en émeut pas : « Joseph-Désiré est mon fils ».
La journée du 24 novembre marque les préparatifs du coup d’Etat. Mobutu les cordonne à partir de sa résidence du
camp Tshatshi ; où il a bloqué tous les officiers supérieurs et généraux. Son épouse, Marie-Antoinette, sert les participants en nourritures et boissons. Le black-out est total : personne ne
communique avec l’extérieur. Le secrétaire particulier de Mobutu, lieutenant Ilosono, est au four et au moulin. Avant minuit tous les militaires qui gardaient chez Kasa-Vubu sont retirés
discrètement, et remplacés par des « militaires sûrs ». Vers minuit, le major Wabali va couper la ligne téléphonique de chez Kasa-Vubu, qui est ainsi isolé du monde. Au même moment entrent en
scène deux Belges : le journaliste Pierre Davister de l’hebdomadaire « Spécial », et le conseiller militaire de Mobutu, le colonel Marliere qui est aussi parrain de baptême de son fils-ainé
Jean-Paul Niwa. Ils rédigent la proclamation du Haut commandement, et la lettre de destitution de Kasa-Vubu.
LE PUTSCH
A 5 heures du matin, ce jeudi 25 novembre, la Radio-Léopoldville se met à diffuser brusquement de la musique
militaire. C’est inhabituel. Trente minutes après, le capitaine Michel Lonoh lit une déclaration des épaules galonnées congolaises, qui démettent du pouvoir « Monsieur Joseph Kasa-Vubu ». Comme
deuxième décision, ils déchargent de ses fonctions de formateur du gouvernement M. Evariste Kimba. Le lieutenant-général Joseph-Désiré Mobutu « assumera les prérogatives constitutionnelles de
chef de l’Etat ». Plus crûment, l’Armée « met fin à la course au pouvoir des politiciens ».
A 7h du matin, le colonel Malila, chef d’Etat-major de l’Anc remet à Kasa-Vubu la lettre de sa destitution, signée
par son « fils » Joseph-Désiré Mobutu. Curieusement, Kasa-Vubu exprime sa reconnaissance à l’Anc : « Je prends acte de cette décision et je vous informe que j’accepte dans l’intérêt supérieur du
pays… ». On imagine que ce coup de force évite à Kasa-Vubu l’humiliation prévisible face à Tshombe à l’élection présidentielle au Parlement. Kasa-Vubu demande par écrit au chef de l’Etat, d’être
acheminé au Mayumbe natal. Cela fut fait le 4 décembre 1965, escorté par le colonel Tshiatshi qui commandait la garnison de Mbanza-Ngungu.
A 10 h, de ce jeudi 25 novembre, Mobutu s’adresse à la presse. Il est entouré de tout le Haut Commandement de
l’armée : le général Bobozo, les colonels Masiala, Mulamba, Nzoïgba, Tshiatshi, Monyango, Singa, Basuku, Malila, Tukuzu, le major Wabali et le lieutenant Ilosono.
Dans l’après-midi, Mobutu convoque les sénateurs et les députés en Congrès national au palais de la Nation. Ces
derniers approuvent le coup d’Etat par acclamation. Dans la soirée, il s’adresse aux soldats. Il commence par leur exprimer sa gratitude : «Je compte sur vous. Je suis président de la République
pour cinq ans. Je resterai militaire comme vous. Je porterai mon uniforme et recevrai mon traitement du quartier général ». Il nomme le colonel Mulamba comme premier ministre, et le général Louis
De Gonzague Bobozo comme commandant de l’Armée.
LES REACTIONS
Dans la population, ce coup d’Etat est accueilli avec une grande liesse, en ce jeudi 25 novembre. Moïse Tshombe
approuve ce putsch, il déclare aux journalistes belges qu’il est « absolument ravi », et annonce devoir rencontrer le chef de la junte le soir même. Même cas pour Nendaka et ses alliés
politiques. Chacun de ces protagonistes espérer tirer Mobutu dans son camp. Tous les grands syndicats applaudissent cette prise de pouvoir : Kithima pour la Cslc, Bo-Boliko pour l’Utc et Siwa
pour la Fgtk soutiennent le nouveau pouvoir. Les redoutables organisations estudiantines de l’Ugec et de l’Agl saluent avec chaleur les nouveaux dirigeants. Ils vont même se mettre entièrement à
leur disposition. Du côté de l’Eglise catholique, l’archevêque, Mgr Albert Malula (futur Cardinal) est aux anges. Il chante un Te Deum d’actions de grâce. Il reconnaît le nouveau pouvoir : « ce
Dieu qui distribue l’autorité. M. le président, l’Eglise reconnaît votre autorité, car toute autorité vient de Dieu ». Les Européens vivant au Congo applaudissent aussi. A l’étranger, les
réactions sont positives. Les premières reconnaissances viennent des Etats-Unis et de la Belgique, parrains du coup d’Etat. La totalité des pays africains reconnaissent aussi le nouveau
régime.
Les réticences viennent de deux pôles du communisme international, dont la Chine et l’Urss. A Pékin, l’Agence Chine
nouvelle qualifie Mobutu de « chien courant des impérialistes ». A Moscou, les Izvestia parlent de « cette racaille colonialo-raciste, qui a pris les rênes du pouvoir ».
Si au premier coup d’Etat de Mobutu en septembre 1960, il avait remis le pouvoir aux universitaires, à 35 ans, il va
le garder fermement durant 32 ans jusqu’à l’intrusion du vieux lion d’Hewa-Bora, le samedi 17 mai 1997, accompagné des enfants-soldats, les « Kadogo ».
TSHILOMBO MUNYENGAYI ASS FAC. DROIT, UNIKIN
publié le 24 novembre 2005 dans le potentiel de Kinshasa.
SOURCE: http://www.lepotentiel.com/afficher_article.php?id_edition=&id_article=18314