L’Est de la République démocratique du Congo constitue depuis une décennie, la plus grande crise humanitaire post-deuxième guerre mondiale : plus de cinq millions de morts, de centaines de milliers de déplacés tant à l’intérieur du Congo que vers l’extérieur, toutes sortes de crimes, viols, atteintes aux droits de l’homme et tueries. Qui, mieux que la Congolaise ou le Congolais peut se lever et dénoncer ce génocide qui ne dit pas son nom ?
C’est ainsi que le 31 janvier dernier, la commission femmes de l’asbl SIMAKIVU a organisé un colloque sur les violences faites aux femmes au Congo, et plus particulièrement au Kivu. Nous avons rencontré l’équipe organisatrice à qui nous avons posé cinq questions sur les tenants et aboutissants de la manifestation.
QUESTION 1. Mesdames, il y a quelques jours, vous avez organisé à l’Université francophone de Bruxelles un colloque sur les violences faites aux femmes. Pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs ?
La journée de réflexion et d’échange sur les violences faites à la femme dans la situation de guerre au Congo, a été organisée par la Commission Femmes de l’asbl Sima Kivu. Fondée en 1990, Sima Kivu est une interface dont l’un des objectifs principaux est de soutenir les Initiatives des Mouvements Actifs au Kivu et de défendre leurs intérêts.
L’association est donc bel et bien membre de la société civile du Kivu. La commission Femme de Sima Kivu est l’une des dynamiques fonctionnelles de Sima Kivu à qui il incombe de suivre de très près la problématique relative aux femmes et de mener les actions pertinentes en la matière. Et bien entendu, c’est en tant que Femmes congolaises et/ou d’origine congolaise que nous nous sentons le devoir de tirer la sonnette d’alarme pour attirer l’attention du monde sur le drame qui se joue au Congo en ayant comme point focal le Kivu mais sachant que beaucoup d’autres régions connaissent le désastre de la guerre qui fait des ravages, atteignant alors tout notre pays.
QUESTION 2. POURQUOI AVOIR ORGANISE CE COLLOQUE ?
Comme dit ci-haut, les membres de la Commission femmes de Sima Kivu suivent de très près ce qui se fait et se dit sur la terrible problématique des viols et violence faites aux femmes dans la situation de cette guerre injuste imposée au Congo. Pour nous, outre l’inadéquation des méthodes d’approche et de traitement, employées pour venir en aide aux victimes, il devenait intolérable que les femmes du Kivu gardent le silence. Garder le silence devant une situation qui perdure et s’aggrave de plus en plus à la fois à cause de sa complexité à tous les niveaux et dans laquelle il nous semble aussi qu’on s’éloigne de plus en plus de la vraie nature du problème et de ses causes (la guerre et le sous-développement). On glisse vers sa banalisation par des considérations purement théoriques ce qui rend impossible toute intervention efficace en faveur des victimes. Nous avons donc voulu prendre la parole pour tirer une sonnette d’alarme pour demander que l’on recadre le problème sur le concret en gardant la raison et en obéissant à une certaine éthique de responsabilité. Nous considérons ainsi par exemple qu’il est insensé de faire naître des concepts absurdes qui feraient du viol une culture dans la région du Kivu. Il s’agit simplement du fait qu’on ignore ou on néglige le contenu des valeurs culturelles des communautés du Kivu et qu’on est alors incapable d’identifier ceux qui se rendent coupables de viol en étant par exemple habillés en civil pour mieux masquer leur forfait et humilier les communautés. On identifie alors difficilement ceux qui sont réellement des civils et qui transgresseraient les valeurs culturelles et que l’on pourrait identifier alors avec plus de facilité en impliquant la communauté dans leur identification (travail de proximité.)
Donc à force de se focaliser et de ne traiter que les récits médiatiques des atrocités des viols de leur intensité en quantité et en barbarie, on oublie les victimes qui devraient survivre à tout cela.
On a pris tant et tant de résolutions et on a sans doute accordé aussi beaucoup d’argent à des endroits bien précis et pour des cas bien précis ! C’est louable et nous nous devons de saluer et de remercier tous ces efforts. Mais nous pensons que dans la mesure où il manque une vision globale et concrète de ce problème, il sera toujours difficile d’obtenir des résultats suffisamment positifs pour que les victimes puissent réellement se reconstruire. Nous continuerons à tirer la sonnette d’alarme dans ce sens et nous sommes disponibles pour contribuer à traiter cette question avec plus de cohérence et de sens de responsabilité.
QUESTION 3. QUEL A ETE LA CONTRIBUTION DE CHACUN DE VOS ORATEURS ?
Nous avons beaucoup de chance d’avoir bénéficié du soutien d’orateurs remarquables que nous remercions encore fortement ici. Si vous considérez le programme que nous avons proposé, vous pouvez retracer la logique de notre préoccupation du jour.
Nous avons d’abord bénéficié d’une entrée en matière, produite par Stella Kitoga qui est comédienne et metteuse en scène. Elle s’est ensuite chaque fois manifestée entre deux sujets différents nous présentant des pages ou des tableaux de son répertoire « Cœur de Mère. » Dans ce répertoire, Da Stella témoigne, incarne et traduit la réalité dramatique de la femme congolaise dans la tourmente de la guerre. Elle montre comment une femme congolaise vivant simplement sa vie peut voir basculer celle-ci, passant d’une « joie quasi céleste » à une « tristesse mortelle », comme le disait Françoise Sagan dans son roman « Bonjour Tristesse. » La contribution de Da Stella avait pour raison d’être de nous tenir attentifs au concret de la situation dramatique que nous vivons aujourd’hui. Bientôt, nous espérons pouvoir aller plus loin et plus complètement dans le témoignage de Da Stella sur cette question.
Pour ce qui est des exposés proprement dit, dans le programme, nous avons d’abord entendu Madame Martien Schotmans d’Avocats Sans Frontières qui nous a parlé très concrètement du travail formidable qu’ils réalisent sur le terrain dans le domaine juridique pour que l’impunité ne l’emporte pas sur la volonté d’aider les victimes à se reconstruire plus vite et plus concrètement parce qu’ils auront bénéficié d’une vraie justice et d’un vrai accompagnement humain. Madame Schotmans a développé surtout 3 points importants à savoir les constats de leurs observations et leurs analyses, les obstacles à une bonne prise en charge du problème au niveau juridique. Elle a expliqué les différents niveaux d’approche et les programmes spécifiques qu’ils essayent de développer sur le terrain pour proposer des solutions. On peut retenir de sa conclusion, outre tout ce qu’elle a souligné, qu’il faut bien être réaliste et se rendre à l’évidence que la justice a ses limites.
Elle ne peut pas tout résoudre et il convient donc de voir le problème de façon globale et créer des synergies entre les différentes structures existantes pour obtenir un maximum d’efficacité.
Notre deuxième intervenant dans l’approche analytique du contexte était Madame Françoise Guilitte, responsable des questions relatives aux femmes d’Amnesty International. Elle a souligné qu’en fait, complétant le travail d’Avocats Sans Frontières qui travaillent plus concrètement sur le terrain, Amnesty International mène surtout un grand travail de lobbying pour sortir le sujet de l’ombre et d’autre part, en utilisant les instruments et les documents internationaux qui complètent la déclaration universelle des droits de l’homme mener un plaidoyer fort pour l’universalité et l’égalité des droits dont doivent bénéficier chaque être humain et donc aussi la femme. Il faut que cesse, a souligné Françoise, cette triste ignominie qui voit des actes des viols utilisés pour terroriser et humilier les communautés et s’attaquer à leurs valeurs pour découdre toute la société.
En menant une observation contextuelle bien orientée, Amnesty International espère que son travail de lobbying contribuera à une meilleure prise en charge de cette terrible problématique tant au niveau global qu’au niveau plus spécifique de la justice qui doit mettre fin à toute impunité et à tous les niveaux.
On peut noter aussi que Mme Guillitte a beaucoup insisté sur plusieurs points qui doivent avoir une attention particulière tel le point qui se rapporte a l’importance de la protection des victimes, des témoins et des preuves. Tel aussi le point relatif aux lois qui devraient permettre la mise en œuvre effective du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (CPI).
Soulignons enfin et entre autres toujours l’importance qu’Amnesty International accorde aux enfants et particulièrement aux jeunes filles et fillettes enrôlées par les forces gouvernementales et les différents groupes armés. Leur réinsertion doit requérir une attention toute particulière.
Dans un deuxième temps qui s’intéressait à l’approche contextuelle du problème, nous avons les témoignages des femmes originaires du Kivu qui connaissent bien les entités et les communautés du Kivu et qui par ailleurs travaillent en interface avec les groupes actifs proches des victimes. Ces témoignages ont beaucoup touché et ému les participants qui ont pu entendre combien et comment la majorité de victimes restent enfermées dans leurs souffrances et dans leur solitude. Pourtant les nombreuses dénonciations, condamnations, résolutions et interventions de par le monde faites de bonne foi essayent de porter des solutions. Mais notre journée de réflexion a montré qu’il faut ramener tout cela dans le concret et dans une dimension globale pour pouvoir aider réellement les victimes de ses actes atroces. Et il ne s’agit pas seulement des femmes mais aussi des enfants et des hommes…Il s’agit en fait de toute une communauté, toute une population…tout en pays !! Et c’est là que se situe tous les défis pour une solution adéquate de cette terrible problématique. Les questions de « qui, comment et pourquoi » ont été longuement abordées en mettant en évidence la nécessité d’élargir les angles d’observation, d’analyse, de lectures et d’interprétation des situations pour entreprendre des interventions qui collent avec la réalité et qui favoriseraient alors des solutions globales et à long terme.
Dans l’approche contextuelle du problème encore l’intervention remarquée de Monsieur Emile Noël sur le contexte socioculturel et l‘aide psychosociale à retenu particulièrement l’attention du public. Partant d’une interrogation sur l’efficacité réelle des participations à la recherche de solutions qui omettraient de prendre en compte des situations qui sont à la base de problèmes. Il a illustré son interrogation sur l’enlisement évolutif de la situation sociale, politique et économique des pays en voie de développement. Si nous rendons bien son point de vue, cet enlisement constitue pour lui, les causes majeures des situations de conflit qui constituent le terreau du problème dont il était question à la journée.
Monsieur Noël a insisté sur la nécessité de mener une analyse nécessaire qui doit nous interpeller sur notre façon de faire. Entre autres, il a épinglé notre manque de créativité qui nous pousse à accepter et à entretenir les idées et les mécanismes qui concentrent l’Afrique autour d’un besoin d’aide. Il faut repenser notre contribution à la recherche de solutions aux problèmes qui nous accablent et qui génèrent les drames comme celui qui se vit au Kivu.
Le dernier chapitre de la réflexion que nous avions proposé se rapportait à l’interpellation du politique. Là encore, deux intervenants de qualité nous ont permis de voir que le travail est encore immense et long. Madame Snoy, Députée fédérale écolo (Groen) qui venait d’effectuer un voyage au Congo avec d’autres parlementaires a accepté de répondre à la question relative à nos attentes vis-à-vis de nos partenaires extérieurs pour résoudre l’épineux problème dont il était question.
Madame Thérèse Snoy, fort attentive et à l’écoute a dit que ayant compris et identifié l’ampleur et la complexité du problème, une sensibilisation plus importante du gouvernement doit se poursuivre pour que les différentes résolutions et options se traduisent dans des actions concrètes. Et ces actions doivent s’inscrire dans une vision globale et durable de la problématique. Le plaidoyer pour la paix doit se poursuivre et se concrétiser. Il faut renforcer une coopération plus adaptée et mobiliser les ressources nécessaires. Il est important aussi d’associer les acteurs du terrain notamment ceux issus de la diaspora aux actions et interventions à entreprendre.
Quant à ce qui concerne le rôle et la responsabilité du gouvernement congolais, Bob Kabamba qui avait gentiment accepté d’aborder cette question sans pour autant se mettre à la place des responsables congolais, nous a édifié en nous faisant comprendre que notre démarche doit aller plus loin pour justement permettre au gouvernement congolais d’être mis devant ses responsabilités et d’agir concrètement. Après une information complète sur les 12 résolutions relatives à la question lors de la conférence de GOMA et qui montrent que le gouvernement congolais est prêt à prendre ce problème à bras le corps, Bob nous a invité à trouver des stratégies qui devraient permettre d’obtenir du gouvernement congolais la mise en application concrète et rapide des 12 résolutions qui semblent aller dans le bon sens. Bien entendu, il faut mener un grand travail de sensibilisation au niveau national et international pour que le gouvernement congolais agisse cette fois sans faux-fuyants !
QUESTION 4. ET QUELES SONT VOS PROCHAINES ACTIONS ?
La Commission Femmes de l’asbl Sima-Kivu va continuer son travail de lobbying, de sensibilisation d’actions. Dans la mesure où la Commission a conscience que son combat n’est pas singulier et unique et conformément à l’engagement pris lors de la journée de réflexion, nous allons proposer à toutes les femmes congolaises d’activer une dynamique de solidarité et de complémentarité pour permettre justement d’avoir une vision globale et plus cohérente de la question. Ce qui faciliterait le chemin vers des solutions concrètes et durables. Nous prévoyons le lancement de cette dynamique d’ici mi-février 2008. Ce sera dans le cadre d’un forum Interrégional des femmes congolaises dans lequel chaque femme congolaise est appelée à être représentée et faire entendre sa voix. D’autres activités concrètes vont être annoncées très prochainement.
QUESTION 5. QUEL APPEL POUVEZ-VOUS LANCER A LA COMMUNAUTE CONGOLAISE ?
Nous invitons tous nos frères et sœurs congolais à prendre conscience de la gravité et des enjeux de ce problème en le plaçant bien dans son cadre, sans amalgame et sans faux-fuyants. Il faut comprendre que le Kivu qui n’est qu’un point focal du drame qui a frappé tout le Congo depuis la guerre d’agression et d’occupation qu’on réduit souvent à un conflit ethnique pour les besoins de la cause. Il faut savoir que tout le Congo est concerné par ce qui se passe au Kivu qui n’est que l’épicentre du drame congolais. Les autres provinces et régions du Congo souffrent également de ce drame et il est donc important que tous les Congolais et Congolaises se serrent les coudes pour venir à bout de ce problème, en triompher et réhabiliter le Congo dans sa dignité, son intégrité et sa grandeur dans le concert des nations. Tel est l’enjeu final qui justifie l’action entreprise par la Commission Femmes de l’asbl Sima-Kivu le 31 janvier 2008.
RUHAMYA Marie-Claire
Coordinatrice de la journée
Et l’équipe organisatrice :
- Maeva Custine
- Angèle Muhigirwa
- Mado Chideka
- Laetitia Kalimbiriro
- Juliette Nkimpiabi
Contact : mclruha@yahoo.fr ; knsimire@hotmail.com
PROPOS RECUIELLIS PAR Cheik FITA
Bruxelles, le 10 février 2008