Entre l’exigence démocratique de l’alternance au pouvoir, et l’instinct « légitime » de la conservation du pouvoir…
COMMENT EVITER LES SCHEMAS ET LES CHEMINS DU CHAOS POUR LA RDC EN 2016 ?
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par Tshivis T. Tshivuadi.*
Secrétaire Général de JED, journaliste en danger
Dans son speech prononcé dans les jardins de sa résidence, à l’occasion de la célébration, le 14 juillet 2014, de la fête nationale de son pays, l’Ambassadeur de France en RDC, M. Luc Hallade, déclarait ce qui suit, à propos des échéances politiques en cours : « …Plutôt que de vous parler du calendrier électoral ou de réforme de la Constitution, je voudrais aborder cette question sous l’angle de la stabilité et de la sécurité. En effet, pour se développer, un pays, quel qu’il soit, a besoin de ces deux piliers pour réussir à enclencher une dynamique positive ». Et d’ajouter : « La stabilité n’est pas synonyme de statu quo. La stabilité, c’est le fonctionnement régulier des Institutions et des pouvoirs publics, le respect des libertés publiques consacrées par la Constitution. C’est enfin le respect d’une règle de base de fonctionnement de toute démocratie : la possibilité d’une alternance au pouvoir, sanctionnée par des élections libres transparentes et inclusives ».
Concernant, la sécurité, l’ambassadeur français déclare que ce n’est pas seulement d’assurer que les FARDC disposent des troupes et du matériel nécessaire pour défendre l’intégrité de son territoire, mais c’est aussi la liberté d’aller et de venir à l’intérieur des frontières, dans toutes les provinces, sans risquer de se faire agresser, violer ou tuer ».
Ce discours qui est celui que tiennent désormais tous les diplomates à Kinshasa, traduit également la position officielle des Etats Unis sur la RDC quant ils encouragent le Président Kabila à faciliter l’alternance et le bon fonctionnement des Institutions.
Et le dernier sommet USA-Afrique qui s’est tenu à Washington, sur fonds d’un Appel pressant des Etats-Unis au respect de l’alternance politique, en est une illustration.. Et citant l’exemple de l’ancien président sud-africain, Nelson Mandela, John Kerry a affirmé que la plupart des peuples d’Afrique étaient favorables à une limitation à deux mandats pour leurs dirigeants. « Nous pressons les dirigeants de ne pas modifier les Constitutions pour leurs bénéfices personnels ou politiques », a-t-il assuré.
Depuis que les débats s’enveniment, sur les intentions réelles ou supposées de la majorité au pouvoir de modifier la Constitution pour permettre au Président Kabila de rester au pouvoir, on assiste, dans les médias ou ailleurs, à une véritable guerre de tranchées entre les radicaux de l’opposition et ceux de la majorité. Entre ceux qui soutiennent l’exigence démocratique de l’alternance au pouvoir, et ceux qui défendent leur « instinct légitime » de conserver le pouvoir.
Mais le plus étonnant dans cette passe d’armes, c’est qu’aucun de ces protagonistes ne présente clairement les schémas ou les chemins qu’il faut emprunter pour conserver le pouvoir ou pour assurer l’alternance au pouvoir, avec la garantie de la paix, de la stabilité et de la sécurité du pays, avec ou sans Kabila au pouvoir, après 2016. Cette paix, cette stabilité et cette sécurité de la RDC qui constituent les préoccupations majeures de la Communauté internationale aujourd’hui. Non seulement en raison des leurs propres intérêts dans un pays qui regorge des potentialités et des richesses inouïes, mais aussi en raison de sa situation stratégique au cœur de l’Afrique, dans le maintien de la paix et de la stabilité régionale.
Il convient de rappeler également que la préoccupation sécuritaire et la stabilité régionale constituent le fondement de l’Accord Cadre du 24 février 2013 signé à Addis-Abeba par 11 pays et de la Résolution 2098 du Conseil de sécurité, et justifient certaines « interférences » de cette même Communauté internationale dans le débat national congolais, sur des questions telles que le processus démocratique, le calendrier électoral, la modification de la Constitution, etc
Selon plusieurs observateurs avertis de la scène politique et des pouvoirs en place en Afrique, « en cherchant à réviser les Constitutions de leurs pays, les chefs d’Etat africains ne cherchent pas tant à s’accrocher au pouvoir mais manifestent plutôt la peur de perdre le pouvoir, et de pouvoir rendre compte de leurs gestions ou de pouvoir être l’objet de règlements des comptes de la part de leurs adversaires ou ennemis politiques. Les exemples récents d’anciens chefs d’Etats qui ont été soit arrêtés soit malmenés après avoir quitté le pouvoir sont légion. La peur étant un sentiment naturel. Ils sont aidés en cela par des entourages des courtisans prêts à tous pour conserver des positions personnelles acquises, mais aussi par une certaine opposition qui brille par sa médiocrité et qui ne donne aucune garantie qu’elle peut constituer une alternative crédible à des pouvoirs qui ont failli, certes, mais constituent peut-être le moindre mal ».
A titre illustratif, les surenchères actuelles de l’opposition congolaise menaçant de traduire ou de déférer le Président Kabila à la CPI aussitôt qu’il aura quitté le pouvoir, ne sont pas de nature à faciliter une alternance pacifique que tout le monde appelle de tous ses vœux face à un Pouvoir déterminé à se maintenir et qui contrôle tout l’appareil de l’Etat (Armée, police, services de sécurité).
La fermentation haineuse des esprits qui s’observe entre les radicaux de l’opposition et ceux de la majorité autour des échéances politiques de 2016 est un véritable poison qui prélude d’un chaos dont personne ne peut prédire les conséquences pour un pays encore fragile à plusieurs égards.
Nul doute qu’au cœur de cette grande hypothèque sur l’avenir, se trouve le destin d’un homme, Joseph Kabila, et d’un pays, la République démocratique du Congo. Jamais aussi, le destin d’un homme seul n’était autant lié avec celui de tout un pays.
Alors que le Chef de l’Etat en poste, Joseph Kabila, ne s’est pas encore officiellement prononcé pour une révision de la Constitution qui lui permettrait de rempiler, il est plus que temps et urgent de désarmer les esprits, et d’arrêter de jouer à se faire peur.
L’après-Kabila, s’il doit avoir lieu un jour, doit se négocier maintenant pour assurer une sortie « honorable » à un homme dont les actions et les réalisations marqueront certainement l’histoire de ce pays. Il s’agit de préparer une sortie qui puisse préserver les acquis de la paix, de la sécurité et de la stabilité d’un pays encore aux prises avec ses démons des guerres et des rebellions, menacé de partition ou de balkanisation à causes des convoitises étrangères, et en situation de quasi mise sous tutelle des Nations Unies qui y ont positionné 17 000 casques bleus.
A cet égard, la polémique actuelle autour de la fin du mandat du Président de la République devrait cesser d’être un débat juridique ou d’idéologie, pour être posée en termes de la survie de la Nation après 2016, avec ou sans Kabila. Non pas parce que Kabila serait le meilleur ou l’homme providentiel pour la RDC, mais uniquement parce que le successeur de l’actuel Chef de l’Etat doit garantir et assurer la survie de la Nation, le bon fonctionnement des Institutions, la paix, la sécurité et la stabilité du pays.
C’est ici que se pose ou devrait se poser la question de l’Hommes ou des hommes capables d’incarner une alternative crédible de paix, de sécurité et de développement après Joseph Kabila, soit en interne dans la Majorité actuelle, soit du coté de l’opposition. Il s’agit surtout de penser l’avenir de la RDC en termes de projet alternatif de récupération de la souveraineté nationale et de reconstruction de l’Etat.
QUE FAIRE ALORS ?
Maintenant que la trêve observée à l’issue de la tenue des Concertations Nationale destinée à sceller la réconciliation nationale, a été rompue par une longue attente déçue de la formation du gouvernement dit de cohésion nationale ;
Maintenant qu’une frange de l’opposition qui avait boudé les Concertations Nationales appelle à nouveau au dialogue avec le Président de la République et sa majorité ;
Maintenant que la Communauté internationale qui craint plus que tout que la RDC avec un potentiel de risque d’éclatement 100 fois plus que celui de la Centrafrique, ne bascule à son tour dans la violence, accentue les pressions sur le Pouvoir en place à Kinshasa, et les mises en garde contre toute tentative de tripatouillage de la Constitution qui permettrait au Président Kabila de se représenter pour un nouveau mandat ;
Maintenant que les derniers événements du 22 juillet au Camps Tshatshi, dans l’attaque dite des adeptes de Mukungubila, ont démontré à quel point les menaces de déstabilisations demeurent réelles ; et que les menaces d’implosion de la RDC ne sont pas une vue d’esprit en cas de conflit politique majeur ;
Ayant à l’esprit ces déclarations fortes et ces mots aussi puissants que juste, du Président Kabila lui-même quand il déclarait, le 23 octobre 2013, à l’issue des Concertations nationales, et devant l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès au palais du peuple, notamment que :
« Pour changer le Congo, nous devons d’abord nous-mêmes changer dans notre manière de vivre ensemble, de faire la politique, de gérer l’Etat et la communauté nationale…
Quels que soient les efforts sur le plan du développement, notre économie ne saurait atteindre sa vitesse de croisière dans une ambiance de corruption, de détournement des deniers publics, de coulage des recettes publiques et d’enrichissement illicite.
Nous avons le devoir de rendre à notre pays ses lettres de noblesse, de lui redonner sa voix et son poids dans le concert des Nations compte tenu de ses nombreuses potentialités.
C’est à ce prix, et à ce prix seulement que, grâce aux Concertations nationales demain sera différent d’aujourd’hui.
Vous l’avez compris, c’est donc à un nouveau départ que je convie ce jour le peuple congolais » ;
Conscient de l’immense espoir que suscite les projets de la modernisation du pays initiés par le Chef de l’Etat actuel, et dont les effets visibles ne sont pas à démontrer, mais néanmoins en butte aux exigences constitutionnelles de l’alternance au pouvoir et de la limitation des mandats présidentiels, qui oblige le Président à passer la main ;
Face à sa responsabilité historique, et à son destin personnel qui lui incombe de transformer le spectre du chaos que d’aucuns redoutent à l’horizon 2016, en une fenêtre d’opportunités qui lui permettra de sortir de la scène politique par la grande porte, pour entrer dans l’Histoire avec grand « H » en donnant l’exemple aux autres pays et Chefs de l’Etat confrontés à la même problématique de l’alternance au pouvoir ;
Le Président de la République Joseph Kabila, en sa qualité d’autorité suprême du pays, placé au dessus des considérations partisanes, devrait garder l’initiative de l’apaisement et du désarmement des esprits, en se prononçant clairement et courageusement sur son avenir politique, accepter de passer la main en 2016, et préparer dès maintenant sa succession.
Pour saisir la main tendue de la frange radicale de l’opposition qui appelle au dialogue, et compte tenue des expériences du passé qui ont vu des initiatives de dialogue ou de concertations des politiciens terminer en eau de boudin, il serait impérieux pour le Président de la République , autour duquel toutes les négociations devraient se dérouler, d’initier dès à présent, et en toute discrétion une mission des bons offices ou de médiation.
Cette Mission de bons offices, conduite en toute discrétion, par un homme ou un groupe d’hommes, nationaux ou étrangers, revêtus d’une notoriété et d’une respectabilité éprouvée, sera chargée de renouer le fil du dialogue avec toutes les parties prenantes (Majorité présidentielle, opposition, représentants de la Communauté internationale, Société civile…) pour préparer la sortie « honorable » d’un homme qui aura tout donné pour sauver sa patrie, et dont le peuple et le monde reconnaissants de son dévouement et de son sens de l’intérêt général sauront lui être gré, et revêtiront sa personne de tout le respect dû à l’homme et à sa grandeur d’âme.
Mais pour y arriver, il reste une hypothèque majeure : c’est le temps. Le temps qui court pour le Pouvoir en place face à la date butoir de 2016, et qui exige que des choix difficiles, pour l’avenir de la Nation, soient opérés courageusement dès à présent, et sans plus de tergiversation, pour sauver ce qui peut l’être encore.
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* Tshivis T. Tshivuadi est Secrétaire Général de Journaliste en danger (JED)
ONG de défense et de promotion de la liberté de la presse
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